«Nous n’avons pas obtenu les résultats escomptés»
Hommes d’Afrique: Excellence, vous êtes le représentant permanent de l’Union africaine aux Nations Unies, quel est concrètement votre rôle ?
TETE ANTONIO: Notre rôle a un double sens. C’est d’abord représenter l’Union africaine aux Nations Unies suite à un accord qui date des années 60 entre l’UA et l’ONU. Représenter l’Union africaine dans tous ses organes signifie donc participer aux travaux de l’ONU dans tous ses organes aussi. Le deuxième sens de notre rôle c’est d’aider à la coordination du déploiement des ambassadeurs à New York auprès des Nations Unies. Les ambassadeurs des 54 pays de l’UA accrédités auprès de l’ONU.
Hommes d’Afrique: Vous représentez l’Union africaine aux Nations Unies, mais on n’entend pas trop la voix cette UA-là. Quel est le problème ?
TETE ANTONIO: Non, ce n’est pas que les Africains ne font pas leur travail. Je pense qu’il faut d’abord vous rendre compte du fait que vous avez un tiers des membres des Nations Unies qui sont des Africains. C’est le groupe africain dont je viens de vous parler. Nous participons aux travaux du Conseil de Sécurité, quand il s’agit de questions de paix et de sécurité. Maintenant, il y a un problème de fond à travers lequel je vais peut-être vous renvoyer la balle. Ce problème c’est que l’Afrique n’a pas la machine de l’information. Est-ce que nos populations sont nécessairement informées de ce que nous faisons, j’en doute fort. Au niveau de la mission de l’Union africaine, nous n’avons pas une machine pour concurrencer les grandes presses présentes à New York. Quand tu sors du Conseil de Sécurité pour faire ton briefing c’est rare que tu parles à la presse africaine. Donc, c’est bien normal qu’on subisse la machine des autres plutôt que la nôtre. Par conséquent, nos actions ne sont pas nécessairement connues du reste du monde.
Maintenant que vous avez l’occasion de parler à toute l’Afrique, dites-nous ce que vous menez comme action…Nous avons développé une coopération étroite avec les Nations Unies. D’abord entre le Secrétariat des Nations Unies et la Commission de l’Union africaine. Je crois que c’est la partie la plus avancée. Nous avons créé des mécanismes comme le desk to desk où des experts qui traitent des dossiers au niveau des deux organisations s’assoient pour parcourir le champ de coopération. Nous avons aussi développé un mécanisme de consultation au plus haut niveau. À part les réunions que la présidente de la Commission de l’UA a avec le Secrétaire général de l’ONU et des contacts qu’elle a directement, nous avons aussi le « JoinTask Team » qui s’est réuni le 2 février à Addis-Abeba. Il se réunit alternativement à Addis-Abeba et à New York. Deuxièmement, dans les questions de paix et sécurité, peut-être que beaucoup ne le savent pas, mais, l’UA est la seule organisation internationale qui a des réunions de consultation régulières avec le Conseil de Sécurité à travers notre Conseil de paix et de sécurité. Cela se passe alternativement à Addis-Abebaou à New York. Avec les Nations Unies, nous sommes aussi sur le champ, dans des opérations de maintien de la paix. Au Darfour on a une mission de paix conjointe, on a eu beaucoup d’autres initiatives de transformation des forces africaines en opération de maintien de la paix dont l’exemple avait commencé au Burundi dans les années 90. On a également coopéré en Somalie et il y a beaucoup d’autres champs qu’on exploite. Mais, ce qu’il faut, c’est de renforcer cette coopération et surtout renforcer notre voix quand il s’agit des questions de paix et de sécurité au sein du Conseil de Sécurité lui-même parce que les positions africaines, c’est toute une lutte, elles ne sont pas nécessairement prises en compte. Je pense que nous avons aussi le droit de faire notre devoir et nous sommes en train de nous organiser dans ce sens.
Hommes d’Afrique: Parlant de position africaine, il y a des tensions entre l’Union africaine et l’ONU concernant la Cour pénale internationale. Où est-ce que vous en êtes avec ce dossier ?
TETE ANTONIO: Pour ce qui concerne le cas du président Omar El Béchir du Soudan, l’Union africaine avait demandé l’application de l’Article 16 au Conseil de Sécurité qui en a la compétence. Pour le cas du Kenya, l’UA est aussi repartie auprès du Conseil de Sécurité, mais on n’a pas obtenu les résultats escomptés. Je dirais que les choses n’ont pas évolué du point de vue du Conseil de Sécurité parce qu’il y a des pays qui ne sont pas prêts à utiliser l’article 16 en faveur de ce que l’Union africaine exige. Et je pense que c’est malheureux. Sinon pourquoi est-ce que cet article existe s’il ne peut pas être utilisé ?
Hommes d’Afrique: Peut-on comprendre par-là que le travail que vous faites pour faire entendre la voix de l’Afrique, entant que représentant permanent de l’UA auprès de l’ONU, serait sapé par certains dirigeants africains ?
TETE ANTONIO: Non, pas les dirigeants africains, eux ils nous supportent plutôt. Mais le travail en soi c’est une corrélation de forces. Quand on prend un organe comme le Conseil de Sécurité, vous savez qu’il y a des membres permanents au sein de ce conseil qui ont le droit de veto. Alors s’ils s’opposent à une position, j’aurai des difficultés à la faire avancer. Je pense qu’il y a quand même des évolutions parce que l’Afrique ne peut pas rester statique. C’est une Afrique en transformation et cette transformation a aussi son reflet sur la voix de l’Afrique dans le monde. Je pense qu’il y a quand même un mouvement dans ce sens-là.
Hommes d’Afrique: Vous avez parlé de résolution de conflits. Mais, il se trouve qu’en ce moment l’Afrique est encore en proie à des tensions. On a la Centrafrique, le Soudan du Sud et l’Égypte. Comment est-ce que vous traitez de tous ces problèmes-là devant le Conseil de Sécurité ?
TETE ANTONIO: Nous avons d’abord ce qu’on appelle l’architecture de paix et de sécurité de l’Union africaine qui est une grande innovation. Et à travers cette architecture, nous recevons comme vous pouvez l’imaginer nos instructions de la Commission de l’Union africaine. Nous travaillons notamment en étroite collaboration avec le Département Paix et Sécurité pour pouvoir aborder ces questions auprès du Conseil de Sécurité ou alors donner l’opinion de l’Afrique quand il s’agit d’options de résolutions au Conseil de Sécurité.
[quote arrow=’yes’]Les choses n’ont pas évolué du point de vue du Conseil de Sécurité parce qu’il y a des pays qui ne sont pas prêts à utiliser l’article 16 en faveur de ce que l’Union africaine exige[/quote]
Hommes d’Afrique: À l’ouverture de la 24e Session du Conseil Exécutif de l’UA, le ministre éthiopien des Affaires étrangères a estimé qu’il fallait que la gestion et le règlement des conflits en Centrafrique et au Soudan du Sud soient une des priorités de ce sommet de l’Union africaine. Thiik Giir Thiik, coordonnateur national de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) a estimé que l’UA n’allait pas au-delà de la simple condamnation dans la crise qui oppose le gouvernement du Soudan du Sud à une rébellion. Quelle est votre opinion ?
TETE ANTONIO: Je n’ai pas la même opinion parce que pas plus tard qu’avant le début du Sommet, la présidente de la Commission est allée à Juba. Donc, on n’est pas sur la voie de la seule condamnation. Parlant du Soudan, je vais vous dire que n’eut été l’Union africaine, d’autres partenaires bien avant le referendum auraient eu des difficultés à traiter avec le Soudan. C’est grâce au panel composé du président Thabo Mbeki de l’Afrique du Sud, du président Abdoul Salam du Liberia, de l’ancien président du Burundi Pierre Buyoya que les Nations Unies ont pu avoir des interlocuteurs aussi bien au Nord qu’au Sud. Donc, l’Union africaine a été impliquée dès le début. Il ne faut pas aussi oublier que nous avons été les premiers à être au Darfour. Maintenant, pour ce qui concerne le Soudan du Sud, nous avons ce qu’on appelle la subsidiarité avec les organisations régionales. L’Union africaine à travers l’IGAD est fortement impliquée dans les négociations avec les parties en conflit. C’est une nation naissante, il y a des contradictions entre les forces et nous espérons que tout cela sera résolu. Pour la République centrafricaine, je ne suis vraiment pas d’accord qu’on dise que l’UA n’est pas allée au-delà des condamnations. Nous avons déployé une force là-bas, dirigée par le General Mokoko. Nous sommes présents sur le terrain depuis. Et bien avant la détérioration de la situation, nous avions une représentation en République centrafricaine qui a toujours fait le suivi tout comme les Nations Unies d’ailleurs.
Hommes d’Afrique: A quand l’effectivité de la force africaine d’intervention ?
TETE ANTONIO: Ça, c’est une vraie question, mais nous sommes conscients qu’on doit nécessairement pouvoir s’occuper de cette force. Nous conscient qu’aujourd’hui notre programme de paix et sécurité est à 90 % dépendant des donateurs. Vous comprenez donc que celui qui reçoit toujours la main en bas comme on le dit en Afrique. C’est pourquoi il y a eu beaucoup d’autres initiatives pour combler ce vide. Le plus important pour nous c’est de pouvoir avoir ce projet en vue. Vous avez suivi les discussions sur le financement de l’Union africaine en général, c’est ça le nerf de la guerre. Ce n’est pas qu’on n’a pas la doctrine, on l’a, ce n’est pas qu’on n’est pas capables de le faire, vous l’avez vu en Somalie, nous l’avons fait pendant que personne ne voulait y aller. Mais, il nous faut des moyens. Et tant qu’on ne se sera pas dotés nous-mêmes de ces moyens, on ne peut qu’attendre l’extérieur pour venir nous sauver tout le temps. C’est une préoccupation que les chefs d’État aussi ont et on va y arriver.