Abiy Ahmed nouveau premier ministre d’Éthiopie
Après trois années de protestations et de troubles, le 15 février 2018, le Premier Ministre éthiopien, Hailemariam Desalegn, annonce à la grande surprise de tous, sa démission. Beaucoup d’Ethiopiens ont vu en ce geste du Premier Ministre une décision consciente et démocratique visant à soutenir le développement de la nation.
Cette démission du Premier Ministre est le résultat de la réforme profonde que la nation a mené au cours des deux dernières années. Quarante-cinq jours plus tard, soit le 2 avril 2018, Mr. Abiy Ahmed Ali est confirmé et prête serment au Parlement en tant que Premier Ministre de l’Ethiopie. Le nouvel homme fort du pays, à peine 42 ans est un père de famille, un activiste de longue date, militaire de carrière, politicien d’expérience et universitaire. La transition politique telle que vécue ce mois en Ethiopie peut-elle inspirer les autres démocraties africaines ? Pour le moment, focalisons nos regards vers cet homme qui est encore inconnu de la scène internationale, mais qui mérite d’être connu…
Abiy Ahmed qui est parmi les plus jeunes dirigeants de l’Afrique entre en politique très jeune.
Abiy Ahmed est né le 23 avril 1976 dans la ville de Beshasha dans la woreda Gomma, près de la ville d’Agaro, Zone Jimma, Région d’Oromia en Ethiopie. Même son nom semble faire de lui de fait, un musulman, . Pourtant, il est chrétien protestant, et il a grandi dans une famille musulmane et chrétienne. Ahmed Ali, son père est musulman et, Tezeta Wolde sa mère elle, est chrétienne. Son nom d’enfance était Abiyot, qui signifie « révolution ». Un nom qui a parfois été donné aux enfants à la suite de la prise de pouvoir du Derg en 1974.
Abiy est allé à l’école primaire locale et plus tard a continué ses études dans les écoles secondaires dans la ville d’Agaro. A la chute du Derg, Abiy Ahmed n’avait que 14 ans et manifestait déjà une volonté politique active. Au début des années 1991, bien qu’adolescent, il rejoint la lutte armée contre le régime socialiste Derg après la mort de son frère aîné. Il l’a fait en tant que membre de l’OPDO (Oromo People’sDemocratic Organisation), l’un des quatre partis de la coalition de l’EPRDF (Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens). L’OPDO était à l’époque une petite organisation de seulement 200 combattants dans la grande armée de coalition d’environ 100.000 combattants. C’est cette organisation qui a favorisée plus tard dans l’année, la chute du Derg.
Après la chute du Derg, il a une formation militaire officielle dans l’Ouest Wollega et était stationné là. Son poste militaire est dans l’intelligence et la communication. Plus tard, il est devenu un soldat dans les forces de défense nationale éthiopienne en 1993 et a travaillé principalement dans le département du renseignement et de la communication. En 1995, après le génocide rwandais, il a été déployé en tant que membre de l’ONU de Force de maintien de la paix MINUAR), Kigali, Rwanda.
Abiy, ce père de famille est bien éduqué et pourrait gouverner avec l’esprit d’un soldat.
Dr Abiy est marié à Zinash Tayachew. Il rencontre sa femme alors que les deux servaient ensemble dans les forces de défense éthiopiennes. De cette union, naissent trois filles. En 2001, alors qu’il servait dans la Force de Défense Nationale éthiopienne, Abiy a obtenu son premier diplôme en génie informatique au Microlink Information Technology College à Addis-Abeba. En 2005, il obtient un Diplôme de troisième cycle en cryptographie à Machihe Dynamics (cryptage AES basé sur le chiffrement par bloc) à Pretoria en Afrique du Sud. Abiy est titulaire d’une maîtrise ès arts en leadership transformationnel et changement, obtenue avec mérite à la Business School de la Greenwich University de Londres, en collaboration avec l’International Leadership Institute d’Addis-Abeba en 2011.
Il est également titulaire d’une maîtrise en administration des affaires, obtenue en 2013 à Addis Abeba, en partenariat avec l’Université Ashland. Abiy, qui avait commencé son Doctorat, a travaillé plusieurs années comme étudiant en cours régulier, et a obtenu son diplôme en 2017 à l’Institut de Paix et des Etudes Sécuritaires à l’Université d’Addis Abeba. Ses travaux de recherches doctorales ont porté sur la circonscription d’Agaro qu’il connait parfaitement. Ces travaux traitent du « Capital Social et son rôle dans la résolution des conflits traditionnels en Ethiopie : le cas des conflits interreligieux dans l’état de la Zone Jimma ». Comme suite à sa thèse de doctorat, il a publié un article de recherche géostratégique dans le Bulletin de la corne d’Afrique- Numéro spécial dédié à la lutte contre l’extrémisme violent.
En 2007, Il co-fonde l’Agence éthiopienne de sécurité des réseaux d’information (INSA) et en devient le Directeur Adjoint. De 2008 à 2010, il a également été Administrateur délégué de l’INSA en raison d’un congé autorisé du Directeur en poste. Pendant cette période, il a également été membre du Conseil d’administration de plusieurs agences gouvernementales travaillant dans les domaines de l’information et de la communication, comme Ethio Telecom (unique compagnie nationale de télécommunication) et Ethiopian Television (Chaîne de Radio et Télévision publique). C’est en 2010, alors qu’il est Lieutenant-colonel qu’il choisit de quitter non seulement l’armée, mais aussi son poste de Directeur adjoint de l’INSA. Il estime avoir plus à donner pour son pays et décide de se consacrer intensément à la politique…
Abiy connaît déjà la situation du pays et certainement, les points pour lesquels il sera attendu et évalué.
Il existe des affrontements entre groupes ethniques et/ou interreligieux dont les causes méritent une lecture entre les lignes; la perception de la propagation de la corruption est élevée parmi les citoyens. Rappelons que lors de ses précédentes attributions en tant que Ministre de la Science et de la Technologie (MoST), poste qu’il quitte après seulement 12 mois, vice-président de la région d’Oromia et chef du Bureau du développement urbain d’Oromia, Abiy devait être le principal moteur de la révolution économique d’Oromia, de la réforme des terres et des investissements d’Oromia, de l’emploi des jeunes. C’est à ces fins, qu’il a pris en charge le million de personnes Oromo déplacées de la région Somali pendant les troubles de 2017. Il a par ailleurs compris l’importance de rassembler les Éthiopiens et de s’attaquer à ces problèmes de manières prioritaires.
Abiy, en tant que membre élu du parlement, a joué un rôle proactif en travaillant avec plusieurs institutions religieuses et les anciens des communautés pour amener la réconciliation. Il créait alors un forum intitulé «Forum religieux pour la paix», résultat de la nécessité de concevoir un mécanisme de résolution durable pour rétablir une interaction pacifique entre les communautés religieuses. Abiy comprend certainement que son élection n’est pas en soit la solution, mais qu’il peut être l’homme de la situation.
Le 2 avril 2018, Abiy a été confirmé et assermenté par le Parlement éthiopien comme Premier Ministre. Au cours de son discours d’acceptation, il a promis des réformes politiques afin de promouvoir la consolidation de l’Etat Fédéral, le rapprochement avec les pays-frontaliers et la cohésion des peuples pour le développement de cette grande nation africaine. Il a tendu la main au gouvernement érythréen pour résoudre le conflit frontalier entre l’Érythrée et l’Éthiopie. Une guerre entre les deux pays de longue date a finie par générer au fil des années une haine de de grande intensité entre ces peuples frères. Il a également fait appel aux partis politiques de l’opposition tant à l’intérieur que dans la diaspora éthiopienne.
Son discours d’acceptation a suscité l’optimisme et a reçu une réaction extrêmement positive du public, y compris des différents groupes d’opposition de l’Éthiopie. C’est le fait que Dr Abiy, au départ, considère les partis d’opposition comme partenaires dans l’édification de la nation et non comme des détracteurs qui aura contribué à la mise en place du courant politique dominant, et aux commandes aujourd’hui. Se référant à eux avec un terme amharique agréable, il a montré le visage d’un homme d’État ambitieux et rassembleur. Abiy parle couramment quatre langues : afaan oromo, amharique, tigrinya et anglais.
A la suite de ce discours, sa popularité et son soutien à travers le pays ont atteint un niveau historiquement élevé. Certains observateurs politiques relèvent d’ailleurs qu’Abiy est massivement plus populaire que la coalition du parti au pouvoir, l’EPRDF. Il a reçu de nombreuses félicitations de la part des dirigeants politiques africains et de la communauté internationale. M. Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l’Union africaine après avoir adressé ses sincères félicitations, lui a rendu une visite de courtoisie. Plusieurs autres Chefs d’Etats et de gouvernements ont également tenu à féliciter ce bon déroulement de la crise politique et aussi l’acceptation de Mr. Abiy Ahmed à ce poste de Premier Ministre de l’Ethiopie.
Le contexte de la démocratie éthiopienne indique qu’en principe, le pouvoir appartient au peuple.
Dr. Abiy Ahmed s’engage à s’en inspirer pour favoriser l’évolution attendue au sein des différentes couches de la population. C’est par ailleurs l’une des volontés de son prédécesseur Hailemariam Desalegn pour qui il est aussi important de relever ici, le rôle important joué lors de son mandat volontairement interrompu. Il a pris une décision qu’on qualifierait non seulement de sage, mais aussi d’osée vu le contexte africain ou l’alternance n’est pas encore vécue telle qu’elle. Par cette volonté de Hailemariam Desalegn, cet autre jeune leader, le transfert pacifique du pouvoir avait pour but de favoriser l’émergence d’un autre dirigeant avec des idées fraiches. En bref, ce qui a été vécu en Ethiopie est la détermination absolue et la lutte contre « l’amour du pouvoir » qui est l’un des obstacles à la gouvernance et au développement de nos pays.
Pendant ces deux dernières décennies, l’Ethiopie est devenue très exigeante sur la création d’une société jeune et bien éduquée. En réponse, il y a aujourd’hui, une pression croissante sur le leadership afin de répondre rapidement aux nouvelles demandes de la population en raison de la croissance économique enregistrée. La nomination du nouveau premier ministre apporte une stabilité considérable dans tout le pays même si les demandes du public pour le développement sont toujours en hausses. Contrairement aux systèmes précédents où les pouvoirs appartenaient à la personne, l’Ethiopie a ce mérite de confirmer que le pouvoir appartient bel et bien au peuple.
Le Premier ministre éthiopien est la figure la plus puissante de la politique éthiopienne. Bien que le président éthiopien soit le chef de l’État, ses pouvoirs sont en grande partie cérémoniels. Dr Mulatu Teshome qui est l’actuel Président de la République travaillera avec cette jeunesse ambitieuse qu’incarneront Mr. Abiy Ahmed Ali, comme Premier Ministre et Mr. Demeke Mekonnen le Premier Ministre Adjoint. La Constitution attribue explicitement le pouvoir exécutif au Conseil des ministres et nomme le Premier ministre chef de l’exécutif. En pratique, le Premier ministre est généralement le chef du plus grand parti de la Chambre des représentants du peuple.
Un test pour la jeunesse dirigeante africaine, des regards vers le jeune leader éthiopien.
Dr. Abiy Ahmed Ali de l’EPRDF, est la douzième personnalité éthiopienne à occuper ce poste de Premier Ministre. Il a accédé au pouvoir avec un sentiment d’indépendance. Si jeune, il a réussi à séparer la génération imprégnée de marxisme, pour un virage qui tient compte des nouveaux courants socio-politiques. Ce passionné de sport et du fitness professe que la santé physique va de pair avec la santé mentale. Il participe d’ailleurs à plusieurs activités physiques et sportives à Addis-Abeba. On a tout lieu de penser qu’il n’aura pas de peine à imposer sa propre marque sur le terrain politique. Il semble probable qu’il élargira son espace personnel de direction. Son gouvernement quoiqu’imminent reste très attendu. Mais au-delà de tout, il s’agira de prêcher par l’exemple. C’est le test pour Dr. Abiy Ahmed Ali en tant que leader…