LE PRÉSIDENT ABDULLA SHAHID NOUS ENCOURAGE À POSER DES QUESTIONS
Nous, journalistes, avons entendu le discours de Son Excellence Abdulla Shahid, Président de la 76e session de l’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU 76). L’AGNU est le principal organe de leadership politique mondial. Nous l’avons bien reçu. Nous, à « Hommes d’Afrique Magazine » avons applaudi ses propos. Nous lui souhaitons succès pour son mandat. Il s’est exprimé mardi 14 septembre 2021, jour où il a prêté serment comme Président de l’AGNU 76. C’était exactement une semaine avant l’ouverture du débat général de l’AGNU, où tous les grands du monde nous annoncent leur volonté. Plus de 100 chefs d’État et de gouvernement se sont succédés à la tribune ou en vidéo, du 21 au 27 septembre.
Citoyen des Maldives, le Président Abdulla Shahid a bien parlé. « Une presse libre est un pilier fondamental de la transparence, de la démocratie. » N’a-t-il pas raison ? Une telle phrase n’interpelle-t-elle pas chaque Africain ?
Pourquoi la liberté de la presse est-elle souvent absente ou malmenée dans plusieurs pays africains ? L’Afrique ne devrait-elle pas être la terre la plus ouverte à la liberté de presse, d’expression ? Quel continent a une plus longue tradition de liberté d’expression que l’Afrique ? La discussion de nos ancêtres sous le baobab était libre, chacun avait le droit de parler. L’on donnait la parole à tout le monde.
L’on écoutait tout le monde : hommes, femmes, enfants, adultes, et surtout vieillards, nos sages. La peur de parler, les Africains ne la connaissaient pas. Personne ne menaçait de vous arrêter, encore moins de vous jeter en prison pour vos propos. D’ailleurs, la prison n’a jamais existé dans la civilisation africaine.
La prison est une lugubre invention que le colonialisme européen a plaquée, avec violence, sur le sol africain. De même que la dictature, comme le démontre John Atkinson Hobson dans son livre, « Imperialism : A study », de 1902. Enfermer quelqu’un entre quatre murs, il faut être diable pour le faire sous la touffeur du soleil africain. Nos ancêtres ne l’étaient point. Les prisons de l’Afrique contemporaine sont des mourroirs! Pas la peine d’en dire plus ici. Ce n’est pas le sujet aujourd’hui.
« S’il vous plaît, n’hésitez jamais à poser les questions difficiles, » nous dit le Président de l’AGNU 76. Merci Président, pour vos paroles qui encouragent l’audace des journalistes. Hélà, en Afrique, nombreux d’entre eux sont en prison. Certains sont pourchassés, d’autres éliminés. Il ne s’agit pas seulement de journalistes.
Le Président parle à tout le monde, au monde entier, aux citoyens de tous les pays : « n’hésitez jamais à poser les questions » à vos dirigeants, et posez-leur des « questions difficiles ». Par exemple, des questions sur les dépenses publiques : « Où va l’argent public ? », « de quelle poche à quelle autre? », « comment est-il dépensé ? », « Le budget national a-t-il été exécuté conformément à la loi ? »
Dans plusieurs pays d’Afrique dite « francophone », persiste une épidémie que la France y a introduite. C’est une pratique courante des gouvernements de la France. La République française l’a héritée de la monarchie française, un régime dont l’un des rois, parangon de l’autocrate absolutiste, n’a pas hésité à déclarer, « l’État, c’est moi ! ». Il s’agit d’une maladie typiquement française. Elle n’existerait nulle part ailleurs, selon les universitaires qui l’ont étudiée et que nous avons lus.
C’est la pratique dite des « fonds de souveraineté ». De l’argent à la disposition de certaines personnalités, entre autres ministres et présidents. Seul un cercle réduit de notables au sommet de l’État en connaît le montant. Aucune trace dans le budget ni dans toute écriture comptable de la nation. La prévarication légalisée. Le Parlement ignore tout. Le peuple n’en a même pas idée. Les personnalités utilisent l’argent comme bon leur semble. Ils n’ont de compte à rendre à personne. Est-ce raisonnable ?
« Je veux que vous me gardiez, moi et le reste des députés de cette maison, sur vos orteils», a dit le Président de l’AGNU 76 pour stimuler la surveillance que les journalistes doivent exercer sur lui et sur les représentants des nations de la terre qui siègent à l’Assemblée Générale.
Comment appliquer cette stimulation à notre continent ? Ne serait-il pas formidable si nous entendions nos chefs d’État stimuler les journalistes et l’ensemble de leurs compatriotes, en paraphrasant Abdulla Shahid, « Je veux que vous me gardiez, moi, les ministres, les députés, les juges, les militaires, les policiers, les douaniers, sur vos orteils » ?
Le pouvoir politique n’a-t-il pas pour but de servir le peuple, et non de s’enrichir aux dépens de celui-ci ? Quelle que soit sa position dans la fonction publique, l’unique et seul objectif d’un agent de l’État n’est-il pas de servir les citoyens, honnêtement, sans discrimination ?
Dans le livre VIII de son chef-d’œuvre « République », Platon distingue cinq types de régimes politiques : la timocratie, l’aristocratie, l’oligarchie, la tyrannie, et la démocratie. Tous les gouvernements africains se réclament de la démocratie. Soit. Si l’on s’en tient à l’étymologie du mot “démocratie”, pouvoir (demos) du peuple (kratos) en langue grecque, l’universalité affichée de la démocratie en Afrique impliquerait que partout dans ce continent, le peuple a le pouvoir, gouverne, directement ou indirectement. A chaque Africain d’apprécier la réalité de cette implication, d’abord dans son pays, ensuite pour le reste du continent.
En démocratie, les dirigeants ne sont que de temporaires serviteurs qui ont l’obligation d’exécuter la volonté du peuple. Ils doivent lui rendre compte régulièrement. Est-ce le cas en Afrique ? Au moment de passer la main à l’autre dirigeant choisi par le peuple, l’ancien dirigeant fait le bilan, en étant le plus détaillé possible sur l’emploi des ressources que le peuple a mis à sa disposition durant son mandat.
Gravés dans la pierre, ces bilans étaient soigneusement conservés à Athènes. Aujourd’hui, 2 500 ans après la fin d’Athènes, il existe des bibliothèques de ces pierres. Ils sont les témoins éternels du contrôle direct des citoyens athéniens sur le budget de leur nation. Pouvons-nous dire la même chose en Afrique dont les nations n’ont au maximum qu’un peu plus de six décennies ? Quel contrôle ont les citoyens africains sur le budget de leur nation ? Sur le vote ou l’exécution du budget ? C’est l’affaire des parlements, dira-t-on ? OK. Ceux-ci font-ils correctement leur travail ?
Des articles universitaires et des livres informent sur la pratique budgétaire dans la démocratie athénienne. Nous invitons les Africains, dirigeants ou simples citoyens, à les consulter. Par exemple, voici deux articles : Rhodes, P. J. “The Organization of Athenian Public Finance.” Greece and Rome 60, No. 2 (2013), pages 203 à 231 ; Duncan, G. A. “Athenian public finance in the fifth century B.C.”, Hermathena 22, No. 47 (1932), pages 62 à 98. Et voici deux livres: “Democracy and Money Lessons for Today from Athens in Classical Times”, publié cette année 2021 par George C. Bitros, Emmanouil M. L. Economou, et Nicholas C. Kyriazis; et David M. Pritchard, “Public Spending and Democracy in Classical Athens,” publié en 2015.
Ces lectures éduquent. Elles peuvent aider les Africains à mieux organiser leur budget national, c’est-à-dire à planifier efficacement leur développement. Dans ces lectures, ils trouveront inspiration pour mieux contrôler leur budget, c’est-à-dire réduire les pertes, les vols, les détournements, la concussion, la corruption.
De ces lectures, l’on apprend par exemple ceci que ne rejetterait pas le Président de l’AGNU 76 et qui, je crois, plairait aux Africains en même temps qu’il disciplinerait leurs dirigeants et assainirait leurs finances publiques : à tout instant, tout citoyen d’Athènes, où est née et a prospéré la démocratie, avait accès à la bibliothèque des pierres budgétaires du présent et du passé. S’il voyait une irrégularité, il pouvait, comme le conseille le Président Abdulla Shahid, poser des questions. S’il était encore en vie, quel que soit son âge, le dirigeant concerné était convoqué, et devait s’expliquer. Si l’on constatait une malversation, la peine de mort pouvait être prononcée.