L’équation africaine des 50 prochaines années
[quote]« COMMENT CONCILIER ÉNERGIE, CROISSANCE ÉCONOMIQUE ET ENVIRONNEMENT » ? [/quote]
Sous la pression des ONG environnementales qui sont allées jusqu’à claquer la porte de la COP19 qui s’est tenue à Varsovie en Pologne du 11 au 22 novembre 2013, les négociateurs sont parvenus à « un bon compromis ». Malgré un contexte marqué par une catastrophe naturelle sans précédent aux Philippines, un nouveau drame attribué aux effets des changements climatiques, chaque conférence sur le climat est néanmoins l’occasion de repousser à plus tard les décisions immédiates et impératives qui doivent être prises notamment par les pays de l’Annexe I.
Cette situation démontre à l’échelle mondiale combien il est difficile pour les États de concilier l’énergie, la croissance économique et la protection de l’environnement. Il s’agit là du principal défi des économies modernes au cours des 50 prochaines années, en particulier en Afrique, en raison de la profondeur de la crise énergétique sur le continent, de l’ampleur du besoin de développement économique et social et des désastres liés au dérèglement climatique.
Au cours des 50 dernières années, on peut considérer que la crise de la dette publique a constitué le principal point noir de la plupart des économies africaines. En effet, cette crise avait désorganisé tout le système économique de l’ensemble des pays du continent. Les différentes stratégies pour refluer le poids de la dette sur les finances publiques mises en œuvre par les États et les Institutions financières internationales (IFI) avaient mené vers une impasse.
Par conséquent, l’accumulation des déficits publics, des arriérés de dette et des charges d’intérêts avaient continué de croître au point de pomper les maigres ressources budgétaires des États avec pour corollaire la détérioration des conditions de vie des populations et la montée en puissance de la pauvreté. Pour l’avenir, c’est-à-dire pour les 50 prochaines années, l’équation cruciale et bien plus complexe pour les gouvernements du continent, est de concilier l’énergie, la croissance économique et l’environnement.
La contrainte énergétique sur la croissance
En Afrique, l’accès insuffisant à l’énergie est considéré comme l’un des obstacles majeurs à la croissance économique. Ainsi, le premier défi que doit relever les gouvernements est celui d’accroître l’offre énergétique et de répondre à la demande industrielle du continent. Or, d’après les statistiques récentes, près de trente (30) pays en Afrique, souffrent d’un déficit chronique en énergie électrique. Et même si certains pays pris isolement se distinguent par des taux de desserte élevés, les délestages ont des conséquences graves sur la compétitivité des économies.
Selon le rapport de la BAD publié en 2009, le manque à gagner pour les entreprises du fait de l’irrégularité de la fourniture d’électricité est estimé à 6 % du chiffre d’affaires annuel.
L’étendue de la crise énergétique en Afrique et la contrainte qu’elle exerce sur la croissance économique obligent les États à recourir à des solutions d’urgence pour faire face à la situation et à différer indéfiniment les projets structurants en raison des délais de réalisation trop longs. Et ces solutions de court terme prises dans l’urgence privilégient l’achat des groupes électrogènes ou la construction des centrales thermiques au gasoil ou au fioul lourd au caractère polluant, reléguant ainsi au second plan la problématique du développement durable. Du fait de la pression politique et sociale, les solutions nationales prennent également le pas sur les grands projets intégrateurs sous régionaux lancés dans le cadre du NEPAD et des pools énergétiques.
Ainsi, pour rattraper le retard en investissements et accroître l’offre énergétique pour soutenir la croissance, le besoin de financement est estimé par la BAD à 47 milliards USD par an.
Les contraintes de développement des nouvelles énergies
Ainsi, le premier défi des gouvernements africains est de faire en sorte que « l’énergie précède la croissance », à travers une offre abondante d’énergie, dans la mesure où c’est dans ce secteur que s’applique la loi de J.B. SAY selon laquelle « l’offre créée sa propre demande ». Et le second défi des gouvernements africains est de faire en sorte que cette énergie produite soit propre et compétitive. Aussi, nos États conscients de l’enjeu ont-ils pris la résolution de développer l’énorme potentiel du continent en énergie hydroélectrique, solaire, éolienne, géothermique, biomasse, afin de concilier l’énergie, la croissance économique et l’environnement. Mais des contraintes d’une autre nature se posent désormais aux États et aux organisations sous régionales pour assurer le développement des énergies renouvelables.
Au niveau institutionnel et réglementaire, de nombreux États ne disposent ni d’un cadre incitatif pour l’investissement ni de lois sur le développe- ment des énergies renouvelables afin de sécuriser l’investissement à long terme. De même, les projets dans les énergies renouvelables ne génèrent pas suffisamment de cash-flows pour attirer l’investissement direct étranger par rapport aux énergies fossiles. Aucun projet, notamment en ce qui concerne le solaire, l’éolien, biomasse, n’est viable sans subvention publique et se traduit par un accroissement du coût du Kwh que les États s’évertuent par ailleurs à rendre moins rédhibitoire. Pour de nombreux experts, la solution pour les États africains passe par les partenariats public-privé (PPP), afin de partager le risque avec le secteur privé et trouver des solutions de financement qui dépassent les possibilités de l’État. Certains pays du continent tels que le Gabon ont emprunté avec détermination cette voie en expérimentant de nouvelles formes de partenariat public- privé (BOT, BOO, Joint-venture, etc.), mais ces options prometteuses requièrent également la définition d’un cadre
réglementaire approprié offrant des garanties aux investisseurs privés. Pour les États, ces nouvelles formes des PPP, ne doivent pas non plus faire courir le risque de retomber dans les mêmes travers que dans le cadre des privatisations inspirées par le « consensus de Washington », avec l’apparition des contrats déséquilibrés, en raison des objectifs souvent antagonistes entre la rentabilité économique (bien-être collectif) recherchée par le partenaire public (État) et la rentabilité financière (profit) poursuivie par l’opérateur privé. Ce qui requiert de la part des gouvernements plus de vigilance en raison de la complexité de ces PPP innovants et de l’asymétrie d’information inhérente
Au niveau institutionnel et réglementaire, de nombreux États ne disposent ni d’un cadre incitatif pour l’investissement ni de lois sur le développement des énergies renouvelables
à tout contrat, afin de se prémunir des risques liés à la position dominante du partenaire privé. Il est évident que pour attirer plus d’investisseurs privés, les rendements attendus des projets d’énergie renouvelable doivent compenser les risques encourus. C’est pourquoi, les banques de développement notamment, doivent mettre en place des fonds de garantie et concevoir une panoplie d’autres mécanismes financiers capables d’aider au développement du secteur. Pour leur part, les États doivent s’employer à poursuivre l’amélioration de la gouvernance dans le secteur de l’énergie en mettant en place des Agences de Régulation disposant des moyens à la hauteur de leurs missions dans un secteur en grande mutation. Ils doivent également s’atteler à para- chever la réforme des dispositifs réglementaires à travers l’adoption des lois sur le partenariat public-privé qui prennent en compte les spécificités du secteur de l’énergie et des lois sur le développement des énergies renouvelables et d’efficacité énergétique.
La dernière préoccupation des États africains pour développer les énergies nouvelles concerne la question relative à la lisibilité des flux financiers liés aux politiques de lutte contre les changements climatiques. En effet, l’ensemble des pays du continent participent faiblement aux émissions de gaz à effet de serre (GES), mais ils paient un lourd tribut des désastres causés à l’environnement par les États industrialisés. D’après les estimations de la BAD, le coût des changements climatiques sur l’économie africaine est estimé en 2009 à 2 % du PIB. Cette situation pénalise des pays tels que ceux du bassin du Congo (2e réserve de biodiversité) qui préservent leur environnement au bénéfice de l’humanité, presque sans contre- partie, privant ainsi ces États de financements additionnels qui auraient pu être consacrés au développement des énergies nouvelles et contribuer ainsi à la réduction des émissions de gaz à effet serre.
En définitive, concilier l’énergie, la croissance économique et l’environne- ment, soulève plusieurs questions à la fois : comment gérer la demande crois- sante d’énergie, trouver un système adéquat pour assurer sa disponibilité à long terme, mettre à la disposition des entreprises une énergie à un coût compétitif, définir le type d’énergie à promouvoir à moindre coût pour préserver l’environnement, mettre en place des politiques, des réglementations efficientes, disposer d’une expertise nationale pour l’appropriation de la technologie et trouver des financements adaptés, etc. Autant des défis à relever par les États africains au cours de 50 prochaines années pour « l’émergence du continent ».
Léandre E. Bouloubou