Réunions de printemps de la banque mondiale et du FMI : qu’y a-t-il pour l’Afrique ?
Les Réunions de Printemps de la Banque Mondiale (BM) et du Fonds Monétaire International (FMI) se sont tenues cette année 2018, du 16 au 22 avril. Le lieu est le même : les deux sièges des deux organisations, qui se font face, de part et d’autre de la 19e rue, dans le nord-ouest de Washington, D.C., capitale des USA.
Ces réunions, en fait plus d’une centaine de conférences, certaines ouvertes, d’autres closes, rassemblent, venant de quasiment tous les pays du monde, les ministres des finances, les gouverneurs de banque centrale, quelques dirigeants d’entreprises, des parlementaires, et depuis peu, des représentants de la société civile. James Wolfensohn, ancien président de la BM, eu l’intelligence d’inviter ces derniers à ces réunions annuelles de la BM et du FMI. Ceci mit un terme aux manifestations souvent violentes des activistes qui jusque-là, perturbaient chacune de ces réunions.Qu’y a-t-il pour l’Afrique, dans cette centaine de conférences ? À la fois beaucoup et trop peu. C’est dans un prochain numéro de Hommes d’Afrique magazine que nous répondrons plus précisément à cette question.
Le présent article a pour but de présenter aux lecteurs, des informations historiques et des statistiques qui trop souvent manquent aux Africains, pour leur permettre d’évaluer avec recul et objectivité, l’action de la BM et du FMI dans leur continent.
Les réunions de la BM et du FMI présentent un grand enjeu pour l’Afrique, car depuis que les dirigeants africains ont invité ces deux institutions à se mêler des affaires de leurs pays, le FMI est devenu de fait, le ministre des finances et le gouverneur de la Banque Centrale des dits pays, et la BM, le banquier et le conseiller des gouvernements africains.
Il est probable jurant sur la souveraineté de leur État, que ces dirigeants rejettent la proposition énoncée ci-dessus. Un fait ne trompe pourtant pas : tous se mettent au garde-à-vous pour accorder à ces deux institutions et à leurs experts, un respect total, presque filial. Il ne s’agit pas seulement du respect d’un client devant son sévère banquier. Le respect est celui d’un élève soumis. Il s’aplatit devant ce qu’il considère comme un puits de connaissance: ses deux maîtres, tout aussi sévères, et qui n’hésitent pas à frapper avec une rugueuse chicotte.
Il y a deux décennies, cette chicotte s’appelait « Programme d’Ajustement Structurel ». Devant l’impopularité du nom, les maîtres l’ont abandonné, mais la sévérité et la chicotte sont restées.
Le respect, voire la déférence des responsables africains à l’égard du FMI et de la BM n’a pas d’égal dans l’histoire.
Les difficultés financières ne justifient pas une telle déférence. En sortant de la Deuxième Guerre mondiale, la France était ruinée. Les ravages de la guerre l’avaient détruite. Du premier jour de l’entrée triomphante de l’armée germanique à Paris, jusqu’à se retraite au troisième trimestre de 1944, les Allemands avaient appliqué le nazisme monétaire en France.
Le nazisme monétaire fut la plus efficace arme allemande pour exploiter les Français. Grâce au nazisme monétaire, les Allemands siphonnèrent l’économie française sans tirer un coup de feu, sans même que les Français s’en aperçoivent.
Créée en juillet 1944, la BM accorda son premier prêt, le 8 octobre 1946, à la France : prêt numéroté « 0001 », de 250 millions de dollars US. Sachant qu’un dollar US de 1946 vaut environ 15 dollars US de 2018, la France reçut donc, l’équivalent de 3,750 milliards de dollars US d’aujourd’hui. Veuillez retenir cette somme.
En 1946, la France a une population de 40,32 millions d’habitants et l’Afrique en a 214,800 millions, soit 3,2 fois plus que la France. En 1946, entre la France et l’Afrique, qui a le plus besoin d’aide pour se développer ? Je vous laisse répondre.
Toujours est-il que si l’on calcule le ratio prêt de la BM sur population, il est en 1946 de 6 200 US dollars. On pourrait interpréter en disant qu’à chaque Français de 1946, la BM a prêté 6 200 US dollars de 1946, et à chaque Africain de 1946, zéro US dollars.
Ce zéro peut surprendre. D’abord, parce que les plus nécessiteux reçoivent cette nulle somme. Mais il informe sur le but véritable de la BM, dont le vrai nom est Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement. Reconstruction et développement s’entendant exclusivement pour les pays européens blancs détruits par une guerre qu’ils avaient provoquée et menée, enflammant au passage la terre entière.
Le zéro surprend encore, car quatre pays africains furent membres fondateurs des institutions de Bretton Woods. Ils participèrent aux travaux de la conférence de juillet 1944 qui créa dans cette ville américaine du New Hampshire, le FMI et la BM : l’Éthiopie, le Liberia, l’Égypte et l’Afrique du Sud. Ambassadeur d’Éthiopie aux USA, Monsieur Blatta Ephrem Tewelde Medhen, conduisit la délégation de son pays. Monsieur William E. Dennis, Sr., Secrétaire au Trésor du Libéria, conduisit celle du Liberia. Monsieur Sany Lackany Bey et S. Frank N. Gie, furent les têtes de file respectivement de l’Égypte et de l’Union Sud-Africaine. (cf. « Who was at Bretton Woods?” par Kurt Schuler et Mark Bernkopt, publié par Center for Financial Stability, in 1er juillet 2014 http://www.centerforfinancialstability.org/bw/Who_Was_at_Bretton_Woods.pdf).
De ces quatre pays, seul le Liberia ne signa pas tout de suite les accords qui officiellement fondèrent, la BIRD. Cette signature eut lieu le 27 décembre 1945. Le 31 décembre 1945, le quota de 28 gouvernements signataires atteint, la BIRD vit le jour et pouvait entrer en action. Le Liberia ne signera les accords que le 28 mars 1962.
n’étant alors pas membre des deux institutions, ne pouvait obtenir un soutien quelconque d’elles. Que dire des quatre pays africains présents à la conférence fondatrice et membres ?
En fait, John Maynard Keynes, l’un des deux maîtres de cérémonie de la conférence avait répondu à cette question. A ces pays, il avait dit: «vous n’avez rien à faire à cette conférence. Celle-ci n’est pas une ménagerie pour singes».
Keynes avait exprimé son dégoût de voir ces représentants de « pays insignifiants »: “Twenty-one countries have been invited which clearly have nothing to contribute and will merely encumber the ground… The most monstrous monkey-house assembled for years.”
(Vingt-et-un pays ont été invités, qui, clairement, n’ont rien à contribuer et qui ne feront qu’encombrer le sol… (Cette conférence) est la plus monstrueuse ménagerie de singes assemblée depuis des années).
La surprise ne s’arrête pas au fait que la France a bénéficié du premier et plus gros prêt de la BM et l’Afrique, rien. Elle est aussi dans les conditionnalités que la BM a posées à la France avant de lui octroyer ce prêt. Quelles furent ces conditionnalités ?
Zéro. Il n’y en eu aucune, à part le remboursement programmé auquel tout débiteur doit se soumettre.
Les dirigeants français ne permirent jamais aux experts de la BM de fourrer le nez dans les affaires du gouvernement de la France. Mieux, les dirigeants français profitèrent de l’argent de la BM pour agrandir l’étatisme dans leur pays, pour nationaliser, pour embaucher encore plus de fonctionnaires, et pour offrir des prestations sociales, dont la sécurité sociale et la protection médicale à un plus grand nombre de Français.
La France pratiqua l’exact opposé des politiques d’ajustement structurel que la BM et le FMI appliqueront avec doctrinale intransigeance aux pays africains, sans interruption, pendant au moins trente ans : des années 1970s, aux années 2000s.
Soutenue par le pillage que la France opère sur les ressources naturelles des Africains, et le travail forcé, sans solde, que l’administration coloniale du « pays des droits de l’homme » étendit partout où elle détenait le pouvoir en Afrique, l’économie française se remit rapidement debout.
Non seulement elle se mit debout, mais elle entama en 1945, après la guerre, la période la plus prospère des Français : « les trente glorieuses », comme ils nomment les années qui vont de 1945 à 1975. Période de plein-emploi, réussie pour partie grâce au strict et triple contrôle des changes, de prix, et de douanes. Remarquez, entre parenthèses, ces trois contrôles, une fois de plus, sont antithétiques à la doctrine du FMI et de la BM en Afrique qui pousse à la libéralisation à marche forcée.
Notez aussi, camouflet aux théories de la BM et du FMI, malgré ce contrôle des prix, l’inflation durant les 30 glorieuses resta souvent au-dessus de 10 %. Le tableau ci-dessous donne le taux d’inflation durant ces trente années :
Ces taux d’inflation sont obtenus, il faut s’en souvenir, malgré 11 dévaluations de la monnaie française: 6 entre 1945 et 1950; 5 entre 1957 et 1969. Ces inflations seraient encore plus élevées si elles étaient mesurées non pas selon le prix à l’aveuglette comme c’est le cas partout dans le monde jusqu’à présent, mais selon la théorie des prix fractionnaires que votre serviteur a récemment été proposée.
Malgré toutes leurs hérésies, les dirigeants français se sont concentrés sur trois indicateurs vitaux pour tout peuple : la croissance de la production, le maintien ou la croissance du pouvoir d’achat, le faible niveau de chômage. La politique d’ajustement structurel, le respect des conditionnalités qu’elle impose, auraient ruiné pour toujours l’économie française, comme elle l’a fait des économies africaines depuis les années 1980s à ce jour. Mais, n’anticipons pas sur ce point. Le prochain article l’examinera.
Il faut ajouter ceci qui est peu connu : la France avait su tirer leçon du nazisme monétaire que l’Allemagne lui avait infligé. Ayant senti dans sa chair, la redoutable efficacité de cette forme de nazisme qui dépouille le pays soumis, sans tirer un coup de feu, elle appliqua la leçon aux Africains, lesquels avaient pourtant versé leur sang pour l’extraire du joug allemand. À peine libérée, elle créa, le 25 décembre 1945, le franc des Colonies Françaises d’Afrique (CFA), copie conforme du nazisme monétaire, qu’à son tour elle infligea aux Africains.
Aujourd’hui, en 2018, cela fait 73 ans que le franc CFA, nazisme monétaire surdosé, sévit en Afrique, sans discontinuité.
Le 21 avril 2018, quatre ministres des finances africains ont tenu une conférence au nom de tous leurs collègues de l’Afrique Sub-Saharienne. Un journaliste s’est étonné sur la persistance du franc CFA. Il a demandé au ministre des finances du Niger pourquoi cette monnaie existait encore en Afrique.
Monsieur Massoudou Hassoumi, le ministre en question, a répondu. « Il faut dépassionner le débat, » a-t-il commencé par demander. « Le franc CFA n’est pas un cas unique d’arrangement monétaire. On a plusieurs pays en Afrique, comme d’ailleurs dans le monde qui ont des arrangements monétaires de ce type avec d’autres monnaies. »
Il a continué en défendant le franc CFA qui selon lui, a trois vertus : il assure la stabilité des prix ; il permet de gagner des intérêts sur les 50% de leurs réserves que les Etats africains CFA placent au Trésor Français ; il est une monnaie d’intégration.
Le prochain article sur ces réunions de printemps reviendra sur les déclarations du ministre. Le franc CFA est-il aussi banal qu’il l’affirme ? Est-il aussi vertueux qu’il le dit ? Les activistes africains qui le dénoncent ont-ils tort ? Sont-ils trop passionnés comme le ministre le sous-entend ?
L’article reviendra sur les propos du ministre Hassoumi et sur ceux de ses trois collègues de Somali, de Sao Tome et Principe, et de l’Angola, qui ont participé à cette conférence de presse.
Il reviendra enfin sur tous les temps forts spécifiques à l’Afrique, parmi la centaine de réunions qui ont eu lieu entre le 16 et le 22 avril, tantôt au siège du FMI, tantôt au siège de la BM. En particulier deux de ces temps forts retiendront notre attention. D’abord, la conférence de presse qu’a tenue le 21 avril, Monsieur Abebe Aembro Sélassié, Directeur du Département Afrique du FMI. Puis, « l’État de l’Afrique », septième édition d’un forum qui a eu lieu aussi le 21 avril, et dont deux stars furent Monsieur Makhtar Dop, le vice-président de la BM, et Directeur du Département Afrique Sub-Saharienne à la BM, et Albert Zeufack, l’économiste en chef de ce département.