« La poste a toujours survécu à la concurrence et à tous les développements technologiques »
Présent à Addis Abeba lors du 30e Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union Africaine, Monsieur Younouss Djibrine, Secrétaire Général de l’Union Panafricaine des Postes a fait un état des lieux sur l’avenir des métiers du secteur postal en Afrique.
En 2018, comment va le secteur postal africain dont vous nous avez parlé à Abidjan il y a cinq ans ?
Effectivement, lorsque nous en parlions à Abidjan en 2013, nous vous disions que nous étions en train de sensibiliser les décideurs afin qu’ils prennent en compte le rôle que la poste peut jouer dans l’accélération de l’intégration de l’Afrique.
Il y a deux ans, nous avons fait adopter des résolutions au niveau des Chefs d’Etat qui tiennent compte de notre rôle dans l’inclusion financière, dans la facilitation des échanges, la communication entre africain, en un mot dans l’intégration tant souhaitée. Les Chefs d’Etat ont instruit les Ministres techniques pour qu’ils les intègrent dans le Programma d’action prioritaire aussi bien dans les négociations avec les partenaires au développement que dans les programmes nationaux de développement.
Donc, la reconnaissance de l’importance du secteur postal est désormais chose faite. Maintenant, nous travaillons à apprêter le réseau postal afin qu’il joue le rôle que les décideurs politiques lui reconnaissent. Nous devons aider les gouvernements à identifier les projets de modernisation prioritaires qu’il faut mettre en place pour que les postes soient prêtes à assumer le rôle qui leur est reconnu.
Quels sont les problèmes qui freinaient l’expansion du secteur postal ?
Nous avons identifié en autres des problèmes liés à des infrastructures de base. Certes, le réseau postal est déjà en lui-même une infrastructure. Mais il exerce son activité à travers d’autres infrastructures et ressources telle que l’électricité. Il faut avoir l’électricité et partant la connectivité dans les bureaux de postes pour faire participer le réseau postal à l’économie numérique.
Et l’économie numérique génère beaucoup de marchandises en termes de trafic. Ce qui suppose une chaîne logistique avec des routes praticables et sécurisées. Il faut également des passerelles transfrontalières qui mettront fin aux tracasseries douanières si nous visons l’intégration économique complète de l’Afrique. A ce sujet, nous travaillons avec les compagnies aériennes pour avoir une connectivité plus aisée.
Nous travaillons avec les postes car depuis 2016 nous avons adopté une feuille de route qui est une déclinaison de la feuille de route mondiale de l’Union Postale Universelle adoptée à Istanbul en 2016 également. Cette feuille de route a identifié les secteurs prioritaires clés dans lesquels la poste doit désormais développer.
Quels sont ces secteurs ?
Il y a d’abord le Commerce électronique où nous devons être un acteur clé. Il y a aussi le développement des services financiers que nous devons nous approprier. Ce sont les segments les plus porteurs à l’heure actuelle dans notre secteur d’activité. Les Postes qui vont se les approprier feront de bons chiffres d’affaire. Nous avons au plan mondial plus de 650000 bureaux de postes interconnectés.
Parce que nous utilisons les mêmes codes d’acheminement de marchandises et de courriers. Et nous avons le même réseau d’offre de services financiers qui sont adossés sur des conventions internationales. En Afrique, nous avons près de 40000 bureaux de poste intégrés dans ledit réseau, qui sont présents dans les villes et dans les villages.
Nous offrons des services accessibles à tous, parce que présent partout. Et nous n’excluons personne puisque nous sommes régis par des textes simples. Nous avons une offre inclusive, innovante et intégrée. Cela dans la droite ligne d’un projet que nous gérons avec l’Union africaine et l’Union postale Universelle. C’est la « Préparation opérationnelle des bureaux de poste pour le commerce électronique ».
Nous avons un volet de formation et de remise à niveau des capacités afin que nos agents changent de comportement et qu’ils soient prêts pour opérer ce commerce. En même temps, nous offrons des solutions techniques appropriées avec nos partenaires. Nous devons aussi améliorer la qualité des services offerts par les postes pour être compétitifs.
A ce sujet, nous offrons des plateformes à nos producteurs dans le domaine agricoles afin qu’ils aient des débouchés dans la commercialisation de leurs produits qui ne transiteront plus par des intermédiaires véreux. Nous devenons un intermédiaire crédible pour nos paysans et artisans qui vendront partout dans le monde avec des marges conséquentes.
Cette pratique va booster l’exportation qui équilibrera les balances commerciales des pays africains. Des pays comme la Tunisie et la Côte d’Ivoire, l’Afrique du sud, le Kenya, le Maroc, et même Djibouti qu’on pourrait qualifier de petit pays par sa taille géographique se sont déjà engagés dans cette dynamique.
Nous avons une autre activité qui consiste à attribuer une adresse physique à tous nos clients. Ce qui est nécessaire pour pouvoir intervenir dans l’économie numérique. Il faut qu’on sache où vous êtes pour pouvoir vous livrer vos produits. A ce sujet, nous avons aussi un projet avec l’Union africaine qui a consisté à réunir à Arusha les opérateurs dans ce secteur afin d’avoir l’offre la plus innovante et abordable.
Qu’en est-il de votre cohabitation avec le phénomène du E-banking et des réseaux sociaux ? Pensez-vous pouvoir survivre avec leur concurrence ?
La poste a toujours survécu à la concurrence et à tous les développements technologiques depuis la nuit des temps. La poste retourne toujours en opportunités les nouveaux phénomènes qui se dressent face à son développement. Nos activités vont exploser avec nos nouvelles réformes et cela nous obligera à créer de nouveaux postes de distribution et donc de nouveaux emplois. Et un personnel qualifié.
Mais ce qui est inquiétant, c’est plutôt le Mobile Banking et non le E-Banking. C’est le Mobile banking qui est dangereux pour nos économies nationales et qui risque de les tuer.
Nous constatons que les Africains s’engagent dans des choses dont ils ne maitrisent ni les tenants ni les aboutissants. Même nos régulateurs financiers au niveau des banques centrales minimisent ou ne savent pas les risques encourus. D’abord, ce sont des services qui sont offerts par des opérateurs de téléphonie mobile qui n’ont pas été formés pour cette activité.
Par ailleurs, ils n’ont pas de licences pour faire cette activité financière. Ils ont des licences pour développer des solutions technologiques et non pour développer des services financiers. Ils se lèvent un matin, commencent la publicité dans leurs mobiles et sans autorisation préalable, ils débutent une activité financière. Et tout le monde laisse faire.