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April 20, 2024
OPINION

Les étapes de l’émergence économique en Afrique

  • mars 16, 2014
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Les étapes de l’émergence économique en Afrique

[quote]A L’ÉCHELLE DU MONDE, IL EXISTE AUJOURD’HUI ENVIRON 151 PAYS DITS ÉMERGENTS. LE TERME ÉMERGENT AYANT DÉFINITIVEMENT RENDU OBSOLÈTE CELUI DE  PAYS EN DÉVELOPPEMENT . MALHEUREUSEMENT, FORCE EST DE CONSTATER QUE NOMBRE DE PAYS SUBSAHARIENS DEMEURENT OU ÉVOLUENT, PUREMENT ET SIMPLEMENT, VERS LE STATUT DE TERRITOIRES SOUS TUTELLE ETRANGERE, NEOCOLONIALE. ILS NE PEUVENT DONC, EN TOUTE LOGIQUE, EXHIBER TOUTES LES CARACTÉRISTIQUES D’UN PAYS ÉMERGENT[/quote]

Le critère qui permet de distinguer les pays véritablement émergents des territoires sous tutelle néocoloniale est simple. Il découle de la théorie du « triangle de souveraineté » élaborée par François Ndengwe. Selon cette approche, un pays est dit souverain quand il produit ses propres normes de droit, émet sa propre monnaie, et peut assurer la défense militaire du périmètre qui lui est internationalement reconnu. Le droit, la monnaie, le militaire.

C’est en résumé, le contenu analytique de la souveraineté. Il y a ainsi une différence de nature entre la souveraineté sémantique (un pays dit indépendant en droit international), et la souveraineté analytique (un pays réellement indépendant). A cette distinction première, nous ajoutons qu’un pays qui maitrise deux sur trois des attributs de la souveraineté peut être qualifié d’émergent. Quand un pays n’est pas en capacité de se défendre, il peut évidemment signer un traité de défense avec un autre État, mieux à même d’assurer cette fonction moyennant la cession de pans de souveraineté. Dans ce contexte, c’est l’État protecteur qui décide de l’opportunité de l’intervention, de son ampleur, et du rôle supplétif que joueront les « forces armées locales ». Réalité qu’il- lustre à merveille l’épisode malien. Pour que le pays qui cède ainsi des pans de souveraineté reste néanmoins qualifié d’émergent il doit d’une part produire ses propres normes de droit, d’autre part battre monnaie. En clair, il doit au moins maîtriser, deux sur trois des attributs de la souveraineté.

Qu’observe-t-on en Afrique subsaharienne utilisant le franc CFA, comme monnaie ? Jusqu’à ce jour, c’est-à-dire jusqu’au XXIe siècle, à Bamako comme à Libreville, à Abidjan, comme à Brazzaville, on juge encore selon le Code Napoléon. Et si d’aventure l’interdépendance croissante des économies suggère une ouverture à la norme juridique internationale, le pays tuteur dresse une digue, une ligne Maginot intitulée « Traité pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique » (OHADA) qui impose le droit français des affaires, et les tribunaux français comme seuls référents en cas de litige commercial.

Outre, l’inaptitude à se défendre militairement, ces pays sont ainsi incapables de produire leurs propres normes de droit. Contrairement à d’autres ex-colonies françaises comme le Vietnam. Quant au troisième attribut de la souveraineté, le droit de battre monnaie, les pays CFA en sont simplement dépossédés par le pays tuteur. Celui-ci émet à Chamalières, village auvergnat de Valéry Giscard d’Estaing, des signes monétaires appelés Francs CFA qu’il met à la disposition des pays CFA, via la BCEAO et la BEAC. Les pays CFA restent sous le régime de l’économie de comptoir, c’est-à-dire de la création d’unités de monnaie quasiment inconvertibles en biens et services réels produits dans les économies nationales, mais immédiatement convertibles en importations en provenance du pays tuteur.

Pour ce faire, toute la circulation monétaire des pays CFA est intégralement couverte ou « garantie » par des avoirs en devises des pays CFA détenues par le trésor du pays tuteur. Car dans le modèle de l’économie de comptoir, la colonie ne doit pas coûter à la métropole. Au total, les pays du pré carré français ne présentent aucun des attributs du « triangle de souveraineté ». Ni le droit, ni la monnaie, ni le militaire. Ce sont des colonies de fait. Chacun peut observer aujourd’hui, à la minute près, comment le pays tuteur est en train de transformer sa tutelle sur le Centrafrique en copropriété européenne. A ces quinze pays du pré carré français, on pourrait ajouter, tous les autres pays africains dans lesquels le dollar a purement et simplement remplacé la monnaie nationale dans les transactions internes (dollarisation).

On pourrait citer la République Démocratique du Congo, le Zimbabwe l’Angola, le Liberia, le Sud Soudan, etc. En toute logique, tous ces pays, comme les quinze pays CFA ne peuvent figurer dans le groupe des pays émergents. Il ne suffit pas de clamer, avec plus ou moins de solennité, que le Gabon sera un pays émergent en 2020, 2025, ou 2030, pour que cela devienne réalité. Évidemment, cette dernière remarque vaut également pour le Tchad, le Cameroun et tutti quanti. Que faire alors pour que l’Afrique subsaharienne sous tutelle devienne véritablement émergente ? En clair, quelle est la condition sine qua non de l’émergence économique ?

 Le Premier Pas Vers L’émergence

Le drame de l’Afrique subsaharienne, c’est l’inculture économique et historique de ses élites, de ses décideurs publics. Un ancien président de la commission de l’Union Africaine à qui j’exprimais l’urgente nécessité de créer une monnaie commune africaine m’a sèchement coupé la parole pour le motif que l’Afrique n’était pas prête. Un brillant universitaire tunisien, à qui je conserve toute mon amitié, s’est également gaussé de moi sur Facebook sur le même sujet. Aussi vais-je ici reprendre ma démonstration, en simplifiant à l’extrême, comme si je parlais à un enfant de 10 ans. Pour un pays, le premier pas vers l’émergence consiste à créer sa propre monnaie. En effet, qu’est-ce qu’une monnaie ? La monnaie est ni plus ni moins qu’un nombre baptisé. Le nombre un, baptisé Euro, Dirham, ou Maloti. Ce nombre tire sa force, c’est-à-dire sa capacité à servir dans les paiements, de la production à laquelle il donne naissance. Dans les économies modernes, la production n’est pas gratuite. Toute création de richesse matérielle se fait toujours en contrepartie d’une distribution d’unités de monnaie appelées salaire. Comme une médaille, la richesse produite dans un pays présente toujours deux visages. Côté face, les biens et services, côté pile les unités de monnaie distribuées à l’occasion de la production.

Le lien entre ces deux formes de la richesse produite s’appelle pouvoir d’achat. L’aptitude d’une monnaie à être converti en biens et services ne découle donc pas d’un édit royal, d’un oukase présidentiel, du stock de devises étrangères détenu par la Banque Centrale ou d’une quelconque richesse préalable dénommée Or, Argent ou Pétrole. La capacité de paie- ment d’une monnaie provient de la production à laquelle elle est associée. Plus un pays produit, en quantité et/ou en qualité, plus les salaires distribués en contrepartie (le revenu nominal) gagnent en faculté de se convertir en biens et services (le revenu réel), et plus sa monnaie est recherchée (s’apprécie par rapport aux autres monnaies nationales). L’on entend souvent les experts africains affirmer que l’Afrique pourrait créer une monnaie « gagée » par un panier de devises, ou par un mix de matières premières. Grave méprise théorique, car il n’y a de « gage » à la monnaie papier que la production à laquelle elle donne naissance. Sur les billets de la Banque d’Angleterre, on peut encore lire, aujourd’hui, « Promise to paybearer one pound sterling », c’est-à-dire un certain poids d’or.

[quote arrow=’yes’]On ne peut plus affirmer benoitement que les économies africaines sont trop faibles pour avoir chacune une monnaie. Car cela équivaut à dire que les économies africaines sont « trop faibles pour que chacune produise des biens et services ».[/quote]

A l’origine, l’unité monétaire anglaise ne faisait que transporter la promesse d’un certain poids d’or (La livre, le Mark, sont des unités de mesure du poids). Or la remise en banque d’un billet de banque anglais ne vous donne, aujourd’hui, aucune contrepartie réelle. Ni or, ni argent, ni zinc, ni cuivre, ni charbon. La chose promise a disparu. Seule subsiste la promesse elle-même, imprimée sur un papier, ou cryptée sur une puce électro- nique. La promesse monétaire ne tire plus sa force, sa capacité de payer ou son pouvoir d’achat d’une richesse préalable (l’or ou quelque autre matière première), mais de la seule production à laquelle elle est associée. Lorsqu’un chef d’entreprise lance un cycle de production, il s’adresse à une banque pour « préfinancer » le paiement des salaires. La banque lui accorde un certain niveau de découvert.

Le financement définitif de la production ne se fera que lorsque l’entreprise aura vendu son produit et remboursé la banque, avec un vrai revenu monétaire capté sur le marché. Si d’aventure son produit ne trouve pas preneur sur le marché, le chef d’entreprise accumule les invendus. Il ne peut pas rembourser la banque. Il fait faillite. Le chef d’entreprise perd ainsi son pari sur la production. Contrairement à l’acception africaine de la monnaie, considérée comme « un fétiche de blanc », un objet quasi magique que les noirs ne peuvent ni créer, ni gérer à bon escient, la monnaie moderne n’est que le support matériel des paris sur la production. Quand on parie sur des chevaux ou à la loterie, on vous remet un ticket qui est le support matériel de votre pari. Quand on parie sur la production, le système bancaire vous remet des unités de monnaie comme support matériel de votre pari. Si l’on accepte que la richesse apparaît toujours sous deux formes dans les économies modernes : les biens et services produits et les salaires versés à ceux qui ont produit lesdits biens et services, on ne peut plus affirmer benoitement que les économies africaines sont trop faibles pour avoir chacune une monnaie.

Car cela équivaut à dire que les économies africaines sont « trop faibles pour que chacune produise des biens et services ». Sous cette dernière formulation, l’ineptie des élites africaines et de leurs dirigeants saute immédiatement aux yeux. C’est justement parce que le Zimbabwe de Mugabe, et le Zaïre de Mobutu, avaient oublié la nécessaire contrepartie productive que l’émission de monnaie dans ces deux pays a conduit à l’hyperinflation, à la fuite de la population devant la monnaie nationale. A contrario, chacun peut observer comment les autorités monétaires du Ghana sont parvenues à faire du Cédi le ressort d’une véritable montée en puissance économique. Rappelons que ce pays avait un temps caressé le projet de rejoindre la zone CFA. Devant la sujétion politique et monétaire qu’instaure cette zone, le Ghana a abandonné ce projet. Il a résolu de gérer sa propre promesse monétaire avec rigueur. Chacun peut aujourd’hui constater que le Ghana est véritablement en cours d’émergence. Là où les pays CFA en sont encore aux incantations, aux cérémonies propitiatoires pour faire tomber la pluie en 2020, 2025, ou 2030. Sans liberté de battre monnaie, point d’émergence économique.

Prof Désiré Mandilou Chief  Economist  African Advisory Board Brazzaville

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Hommes d'Afrique Magazine

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