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March 19, 2024
POLITIQUE

Les vrais enjeux de la défagration

  • janvier 9, 2014
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Les vrais enjeux de la défagration

CENTRAFRIQUE

Les vrais enjeux de la déflagration

L a violence, en Centrafrique, a atteint un niveau inégalé depuis le mois de décembre 2013. Les rebelles de la Seleka qui ont chassé François Bozizé du pouvoir en mars 2013, font face eux aussi à des adversaires, sortis de nulle part. Au-delà des ces affrontements qui ont basculé sur le terrain inflammable de l’ethnicité et de la religion se joue une partie bien orchestrée et qui n’a cure des milliers de morts à Bangui et dans le reste du pays.

C’est avec horreur, consternation et dégoût que les Africains sur le continent et à l’extérieur vivent la situation des populations centrafricaines livrées à la barbarie des partisans de Bozizé « Anti-Balaka » et ceux de la Séléka du chef d’État actuel, Michel Djotodia. Si de prime abord, on pourrait expliquer ce regain de tension meurtrière par les antagonismes entre ceux qui ont perdu le pouvoir et ceux qui le gèrent (comme le font à profusion la presse occidentale et les « spécialistes de l’Afrique » occidentaux), pousser la réflexion et les investigations plus loin permet de cerner les vrais enjeux d’un conflit dans ce pays dit pauvre. Comment un pays visiblement sous-peuplé et classé parmi les pays les plus pauvres d’Afrique et du monde selon les institutions de Brettons Wood, est-il devenu, paradoxalement, le pays qui détient le record mondial des déploiements des Missions d’intervention des forces armées de l’Organisation des Nations Unies ? Et pourquoi la France, l’ancien colonisateur n’a jamais quitté ce pays « pauvre » jusqu’à ce jour au point d’y avoir des soldats permanemment stationnés ?

Ces coups d’État intrigants et révélateurs…

La Centrafrique, c’est d’abord un mélo- drame ponctué de coups d’État qui, mis l’un dans l’autre, lèvent un coin de voile sur ce qui se joue dans ce pays de moins de 5 millions d’habitants. Lorsqu’il meurt dans un mystérieux accident d’avion le 24 mars1959, Barthélemy Boganda, premier ministre et qui devait être le premier président, disparaît avec ses idées panafricanistes visant à faire du Cameroun et de son pays, une seule République. Son successeur Abel Goumba est vite dégagé pour un certain David Dacko, élu le 5 mai 1959, et qui deviendra le premier président Centrafricain, le 13 août 1960. Il a sensiblement 30 ans. Le 29 septembre 1964, David Dacko établit des relations diplomatiques avec la Chine de Mao. Pour qui sait dans quel camp était classé la Chine communiste de Mao Tsé Toung pendant la Guerre froide, il est loisible de comprendre pourquoi un an après, précisément le 31 décembre 1965, David Dacko est renversé par un Jean Bedel Bokassa. Celui qui vouait une admiration démentielle au Général de Gaulle au point de l’appeler « Papa » et à qui Valery Giscard d’Estaing donnait du mon « cher parent et ami Jean Bedel, fera son temps. Après un couronne- ment ubuesque, le 4 décembre 1977, en tant qu’Empereur de Centrafrique, il est en froid avec la France au point où il est obligé de solliciter le Colonel Muhammar Kadhafi pour payer ses fonctionnaires. Il faut dire qu’entre temps, Bokassa qui ne lésinait sur aucun effort pour « offrir » des diamants bruts à Giscard avait commencé à devenir « lent ». Ainsi, alors qu’il est en Libye le 20 septembre 1979, et qu’il a obtenu de Kadhafi une aide de deux ans pour payer ses fonctionnaires, Jean Bedel Bokassa est renversé par… la France.

 

Sauvetage

Avec l’Opération « Barracuda », l’ancienne puissance colonisatrice franchit un pas dans sa volonté de régenter ses ex-colonies. Dans un Transall de l’armée française débarque le nouveau président centrafricain. Il s’appelle David Dacko et ne met pied à terre que lorsqu’il entend sur Radio France internationale qu’il est, ou du moins, est redevenu, le nouveau président Centrafricain… Ce dernier n’arrive pas à saisir « sa deuxième chance » puisque le pays est en proie à une instabilité chronique. C’est sans surprise qu’il est renversé le 1er septembre 1981 par le Général André Kolingba. Derrière Kolingba se profile la main d’un certain colonel français du nom de Jean- Claude Mansion. Un homme qui inspirait crainte et terreur en Centrafrique à l’époque. Désigné caricaturalement par le surnom de « Lucky Luke » à cause de sa forme longiligne, le colonel Mansion était en fait celui qui dirigea d’une main de fer le pays, jusqu’en 1993. Avec les exigences de la Conférence de Baule, Kolingba perd le pouvoir à la suite d’élections où il ne sera même pas au second tour. Ange-Félix Patassé ne gouverne qu’à peine trois ans qu’une autre vague d’instabilité naît dans le pays. Cet ingénieur agronome est « sauvé » plus d’une fois par l’Opération « Almandin » de l’armée française qui, comme d’habitude, entendait préserver la vie de ses ressortissants. À l’entame des années 2000, le président Patassé octroie à RSM Petroleum, une entreprise américaine appartenant à l’industriel Jack Grynberg, une concession terrienne dans le nord du pays. Non loin de la ville de Gordil, l’Amé- ricain doit pouvoir faire des forages et exploiter le pétrole… Le 15 mars 2003, Ange-Félix Patassé est éjecté du pou- voir par le Général Bozizé, son ex-chef d’État-major, en rupture de ban avec l’armée et devenu un rebelle. Derrière Bozizé, plane l’ombre très visible de la France et du Tchad à en croire plu- sieurs observateurs. En fait, après avoir fui le pays après une tentative de coup d’État, le 26 octobre 2001, Bozizé transite par le Tchad avant de se retrouver en France. L’année qui suit son avènement au pouvoir, c’est-à-dire en 2004, le permis d’exploitation de l’entreprise américaine RSM Petroleum expire avant même le moindre forage… L’uranium de Bakouma Fin juillet 2007, la société AREVA, fleuron de l’industrie minière française rachète au Canadien URAMIN, l’exploitation minière de Bakouma, riche en uranium. Pourtant, UraMin et l’État centrafricain avaient signé le 28 février 2006 une convention dont 93 % des parts revenaient à la société canadienne. AREVA frappe donc un gros coup en acquérant cette exploitation minière. Cependant, tout ira en vrille entre Bozizé et la France à propos de cette transaction, car le gouvernement centrafricain se sent floué dans l’opération. À en croire une dépêche de l’AFP en date du 20 septembre 2007, « Cette opération (de rachat) est irrégulière au regard des dispositions légales centrafricaines et des clauses contractuelles. De plus, elle a été réalisée au mépris des droits et intérêts du peuple centrafricain », selon le communiqué, lu à la radio nationale par le porte-parole du gouvernement, de l’époque, Aurélien- SimpliceZingas. Précisant l’objet même de sa colère, le pouvoir Bozizé indiquera, toujours selon la dépêche de l’AFP, que « le gouvernement centrafricain reste ferme- ment attaché à la réalisation du projet d’exploitation et de mise en valeur du minerai d’uranium de Bakouma. Il tient cependant à ce que toute opération relative à cette exploitation soit aussi profitable au peuple centrafricain, afin d’obtenir (…) le juste respect de ses intérêts légitimes ». La réaction de la France ne se fait pas attendre et c’est le Quai d’Orsay qui s’y mettra. « Il nous paraît important que soit menée dans ce pays une politique d’utilisation optimale des ressources naturelles, qui doivent être exploitées au bénéfice des populations, et donc nous sommes attachés à ce que l’exploitation de ce gisement se fasse dans le respect des clauses contractuelles et dans la plus grande transparence”, dira le porte-parole adjoint du Quai d’Orsay, Frédéric Desagneaux, cité par une autre dépêche de l’AFP, du 21 septembre 2007. Quant à AREVA elle-même, elle répondra qu’elle n’ira « pas en deçà » de la convention qui régit la mine, ajoutant “partager avec l’État centrafricain la même volonté de mettre en exploitation ce gisement dans une logique durable et de manière gagnante-gagnante” pour ” l’ensemble des parties prenantes ». Pour AREVA, cette polémique tombait mal en ce sens qu’un mois auparavant, le Niger du président Tandja venait de contester son mono- pole sur l’exploitation et la commercialisation de l’uranium. Quelques années après, Tandja quittera le pouvoir dans les conditions que chacun sait… Finalement, un accord est trouvé entre les parties centrafricaine et française. À contrecœur ? Nul ne le sait, mais en 2011, contre toute attente, AREVA annonce qu’elle suspend ses activités sur la mine d’uranium de Bakouma. Les raisons évoquées, si elles paraissent acceptables, demeurent pour le moins spécieuses. En effet, le géant français prétexte- ra la catastrophe de Fukushima et la baisse des prix du « Yellow cake ». En outre, AREVA estimera que la mine de Bakouma présenterait des difficultés pour l’extraction de son uranium qui ne serait pas aussi bon que celui du Niger. Cette annonce brutale repré- sente assurément un manque à gagner pour le gouvernement Bozizé. Ce der- nier se tourne alors vers la Chine. Il octroie à la China National Petroleum Corporation, l’exploration pétrolière de Gordil, qui avait été « arrachée » à RSM Petroleum, ainsi que celle de Boromata. Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui en Centrafrique, il ne faut pas perdre de vue que ce pétrole à exploiter se trouve non loin de la frontière avec le Tchad et le Soudan, secteur à partir duquel la rébellion de la Seleka déferlera sur Bangui en mars 2013. Tout comme RSM Petroleum, la China National Petroleum Corporation ne bénéficiera pas de son permis d’ex- ploitation…

« en dépit de l’instabilité politique et des risques sécuritaires, Air France, Bolloré (logistique et transport fluvial), Castel (boissons et sucre), Total (stockage et distribution des produits pétroliers), CFAO (distribution automobile) ont maintenu leurs implantations en RCA

La nuit des longs couteaux…

Aucune érudition particulière n’est requise, au vu du décor ainsi planté, pour comprendre les tenants et aboutis- sants du drame centrafricain. Derrière, les affrontements sanglants des « anti- Balaka » et de la Séléka, se déroule une bataille déguisée de grands groupes pour ne pas dire de grandes puissances. Déjà nantie en pierres précieuses avec l’or et le diamant, et l’uranium, en matières premières comme le café et une forêt tropicale renfermant presque toutes les espèces animales mondiales, la Centrafrique est potentiellement un pays producteur de pétrole. Et dans le contexte international actuel, les pays dits pauvres qui ont du pétrole attisent les convoitises. Ces convoitises débouchant dans la majorité des cas sur une instabilité politique, provoquée par les guerres à fleurets mouchetés que se livrent sournoisement les grandes puissances capitalistes et asiatiques. La Centrafrique, et c’est un secret de polichinelle, n’échappe pas à cette donne. Ainsi, lorsqu’acculé par les rebelles de la Séléka, Bozizé appelle au secours la France qui dispose d’une base militaire à Bangui, la réponse de François Hollande est sans équivoque. Sauf pour ceux qui voulaient faire croire à ceux qui veulent bien les croire, que le nouveau locataire de l’Élysée marquait ainsi une rupture avec les méthodes de la France-Afrique. « Si nous sommes présents, ce n’est pas pour protéger un régime, c’est pour protéger nos ressortissants et nos intérêts et en aucune façon pour intervenir dans les affaires intérieures d’un pays, en l’occurrence la Centrafrique », répondra Hollande aux supplications de Bozizé, 27 novembre 2012. Cinq mois plus tard, le 24 mars 2013, François Bozizé a dû prendre la poudre d’escampette, vivant ainsi le même sort qu’il réserva à Ange Félix-Patassé, il y a dix ans. Ironie de l’histoire. Mais quels sont les intérêts de la France dans ce pays qu’elle ne cesse elle-même de qualifier à demi-mot d’État en faillite ? Une note sur le site internet du ministère des Affaires étrangères de la France est assez éloquente sur le peu d’intérêt que représenterait la Centrafrique pour les milieux d’affaires. Celle-ci mentionne qu’« en dépit de l’instabilité politique et des risques sécuritaires, Air France, Bolloré (logistique et transport fluvial), Castel (boissons et sucre), Total (stockage et distribution des produits pétroliers), CFAO (distribution automobile) ont maintenu leurs implantations en RCA. L’arrivée en 2007 de France Télécom dans la téléphonie mobile marque un certain intérêt des investisseurs français. Les pillages consécutifs à la prise de Bangui par les rebelles le 24 mars ont fortement perturbé l’activité des entreprises françaises ».

Protections

En un mot, six des plus grosses entre- prises françaises sont actives dans ce pays dit pauvre. On peut donc comprendre pourquoi, alors qu’il disait péremptoirement ne pas vouloir inter- venir dans les affaires intérieures d’un pays, François Hollande s’est invité en Centrafrique. Bien entendu, l’inter- position entre des communautés qui s’apprêtaient à s’entretuer, l’alibi trouvé paraît imparable pour qui perd de vue qu’au-delà de cette mission civilisatrice, la France est bien en Centrafrique pour « protéger ses ressortissants et ses intérêts ». La preuve est qu’en dépit de la présence des soldats français à Bangui, les tueries et affrontements entre Banguissois sont quasi quotidiens. Ce qui se passe en Centrafrique est donc beaucoup plus complexe que ce qui est ressassé sur les antennes des médias internationaux. Les enjeux sont énormes. D’ailleurs, le français Philippe Hugon, Directeur de Recherche à l’Institut de Recherche internationale et Stratégique l’analysait sous ce prisme le 25 mars 2013, lorsque la Séléka est entrée à Bangui. À la question de savoir quels étaient les enjeux de cette prise de pouvoir, il dira: « Il y a plusieurs enjeux. Tout d’abord, il y a un enjeu politique étant donné que le nouveau président, Michel Djotodia, a obtenu le pouvoir par les armes. Il y a aussi des enjeux régionaux, notamment avec le Tchad qui ne soutenait plus le gouvernement de Bozizé. À travers la crise malienne et la situation actuelle, on a pu voir que le Tchad souhaite peser davantage dans la région. Enfin, il y a des enjeux miniers. Il faut savoir que bien qu’il s’agisse d’un des pays les plus pauvres du monde, la Centrafrique possède des richesses minières très importantes telles que l’or, le diamant, l’uranium et le fer. Il est également possible qu’il y ait des enjeux de modification de partenaires dans ce secteur qui pourraient représenter un nouvel enjeu ».

Valery Foungbé

Photo: Les enfants sont les grandesvictimes de ce conflit.

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Hommes d'Afrique Magazine

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